Comment les gels hydro-alcooliques sont devenus une ressource stratégique…

Comment les gels hydro-alcooliques sont devenus
une ressource stratégique...

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14 avril 2021

La crise sanitaire de la covid 19 a révélé l’importance pour la France de posséder une filière betterave-sucre-alcool solidement structurée, dotée d’un outil de production local et flexible qui a permis de répondre à la demande de gels et solutions hydro-alcooliques. Retour sur la montée en puissance d’un levier d’indépendance sanitaire.

« Le gel hydro-alcoolique fait partie aujourd’hui de notre quotidien. Nous avons décuplé notre production, passant de 40 000 litres/jour à 500 000 litres/jour. Je veux remercier l’ensemble de nos industriels, de nos fabricants (…) qui se sont mobilisés d’une manière exceptionnelle pour produire et apporter ces gels. » C’est en ces mots, au plus fort de la première vague épidémique de mars 2020, que le Président de la République, Emmanuel Macron, a tenu à rendre hommage aux acteurs engagés dans la course contre la montre pour mettre à disposition de la population des gels hydro-alcooliques (GHA) : producteurs d’alcool agricole, fabricants et conditionneurs de gels et de solutions de désinfection, pharmaciens, établissements de santé… [1]

En quelques jours, la ruée sur le gel hydro-alcoolique en a fait un produit de première nécessité. Bon nombre de personnes ont alors découvert que la France disposait d’un outil industriel capable d’en produire la substance active, à savoir l’alcool éthylique. En effet, le gel est constitué d’un mélange de glycérine, un agent hydratant d’origine végétale, et d’alcool à 60° ou plus qui lui donne ses propriétés biocide et virucide. C’est également cet alcool qui entre dans la composition des désinfectants de surfaces. Cet alcool provient soit de la betterave sucrière, soit de céréales (blé, maïs).

Une filière éthanol leader en Europe

Grâce à ses 12 distilleries produisant de l’alcool de betteraves et de céréales, la France produit chaque année 1,8 milliard de litres d’alcool éthylique (éthanol) d’origine agricole (soit près de 5 millions de litres par jour), ce qui en fait le N°1 européen avec 25 % des volumes. En temps normal, ses principaux débouchés sont à 60 % le bioéthanol entrant dans la composition des essences (SP95, SP98, SP95-E10, E85) et, à 40 %, les utilisations traditionnelles : parfums-cosmétiques, pharmacie (dont gels hydroalcooliques), boissons, vinaigres, industries chimiques.

L’arrivée du coronavirus a quasiment inversé la donne : la part de l’alcool destiné aux gels n’étant historiquement que de moins de 1 %  de l’ensemble des volumes, la division par 4 du débouché dans les carburants dès le début du confinement a donné des marges de progression importantes.

« La nécessité de protéger la population a généré une hausse aussi soudaine qu’exponentielle de la demande de gels hydro-alcooliques que les producteurs d’alcool ont tout fait pour satisfaire. Les Pouvoirs publics nous ont demandé si nous pourrions  multiplier nos livraisons d’alcool destiné à cet usage par trois, puis par quatre… Au final, nous avons multiplié les volumes par 10, voire plus ! »

Sylvain Demoures, directeur général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA)

Une réorganisation de la production et des circuits de livraison

Pour relever ce défi, les industriels ont agi sur plusieurs leviers. Une partie de l’alcool brut destiné au bioéthanol a été réorientée vers les gels et solutions, ce qui a nécessité une importante réorganisation opérationnelle. En effet, l’alcool de qualité pharmaceutique étant un alcool « dénaturé » (impropre à la consommation alimentaire) « surfin » (très pur), obtenu par rectification de l’alcool brut, les opérateurs ont dû mobiliser toutes les capacités des colonnes de rectification disponibles. Parallèlement, une partie de l’alcool alimentaire destiné aux boissons a aussi pu être utilisée grâce à une dérogation provisoire accordée par l’administration des Douanes pour favoriser la mise à disposition d’alcools non dénaturés directement auprès des pharmacies centrales des Hôpitaux et des professionnels de santé pendant la crise sanitaire.     

Comme le souligne Sylvain Demoures, « face à l’urgence, l’impulsion politique et l’action du ministère de l’Économie et des Finances avec l’appui des administrations concernées (Douanes, DGPR, DGEC, DGPE) ont été décisifs pour mobiliser toute la chaîne d’acteurs. En aval des fabricants d’alcool, les opérateurs historiques qui formulent et conditionnent les gels hydro-alcooliques ont fortement augmenté leur production. Le mouvement s’est élargi à un second cercle d’acteurs qui y ont été autorisés par l’État, à l’image des pharmaciens, des fabricants de cosmétiques et de produits d’entretien désinfectants ou encore d’exploitations bénéficiant du label « Installation classée pour la protection de l’environnement » (ICPE)… ». Cette mobilisation exemplaire a permis de mettre en place des circuits courts et réactifs afin de répondre à la demande au plus près du terrain, en priorité à celle des hôpitaux, EHPAD et professionnels de santé, mais aussi des entreprises, commerçants et particuliers.

Une production 100 % « origine France »

La situation d’urgence aura également permis de constituer une organisation pérenne pour servir le marché des gels et solutions hydro-alcooliques. « Ce segment qui représente désormais 5 % des utilisations d’alcool traditionnel est devenu un débouché à part entière, confirme Ernst Van Der Linden, directeur commercial Alcool de Cristalco, filiale du groupe sucrier Cristal Union. Lorsque la crise de la covid 19 sera derrière nous, les gestes barrières vont demeurer un réflexe pour se protéger de la grippe saisonnière, des gastro-entérites… et des nouveaux virus. »

Un autre acteur de la filière betterave-sucre-alcool, le groupe Tereos, a lancé en mars 2021 sa propre gamme, Gel Hydro®, destinée aux entreprises et collectivités. « Cette nouvelle gamme de gel hydro-alcoolique est intégralement fabriquée en France à partir de l’alcool surfin issu des betteraves sucrières auquel est ajouté de la glycérine. Elle valorise la production de notre groupe coopératif », a souligné Tereos lors du lancement. Une précision importante dans la mesure où l’origine France est aujourd’hui une indication précieuse pour les utilisateurs. De plus, grâce à sa production d’alcool, la France n’a pas eu besoin de recourir aux importations pour servir la totalité de la demande intérieure. « Nous avons même été en capacité de servir des marchés extérieurs, en Europe, au Proche et Moyen Orient ainsi qu’en Asie du Sud-Est, note Ernst Van Der Linden. Plusieurs ambassades nous ont envoyé des messages de remerciements, ce qui rejaillit positivement sur l’image de la France. »

Une filière stratégique

La crise sanitaire aurait-elle fait du gel hydro-alcoolique un outil de soft power ? Dans les faits, l’idée va bien au-delà du produit. « La situation a démontré la dimension stratégique de notre filière dont la chaîne de valeur, implantée sur tout le territoire, permet de répondre aux besoins vitaux, y compris en temps de crise, conclut Sylvain Demoures. Notre capacité de production associée à la possibilité de l’orienter, selon les besoins, vers les débouchés alimentaires et non alimentaires, dont le bioéthanol, est un levier de souveraineté à la fois sanitaire, énergétique et alimentaire pour notre pays. Enfin, les critères de durabilité auxquels répondent toute la filière et ses productions en font également un outil disponible et mobilisable pour lutter contre le réchauffement climatique. »



[1] Source : BFM TV, 31 mars 2020

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