Alain Carré – Président de l’AIBS

Alain Carré

Président de l’AIBS

« La filière betterave-sucre assure des productions essentielles pour la France »

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14 avril 2021

Agriculteur betteravier dans le département de l’Aube et président de l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS 1) en tant que représentant fabricant de la coopérative Tereos, Alain Carré revient sur les enjeux et projets de la filière. Un tour d’horizon à l’heure où les planteurs sèment les betteraves de la prochaine récolte.

Quelles perspectives s’ouvrent à l’issue d’une année 2020 extrêmement difficile ?

Après avoir été confrontée pendant trois années consécutive à la crise financière du sucre, la filière a connu en 2020 une crise de production majeure. L’épidémie de jaunisse et la sécheresse estivale ont cumulé leurs effets pour en faire une année exécrable. Les rendements à l’hectare ont chuté de 30 %2, entrainant une baisse de la production de sucre. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une nouvelle saison de semis qui, pour le monde agricole, est traditionnellement une belle période, un rituel tourné vers les promesses de la terre. Mais les fortes gelées du début avril ont causé des dégâts sur des betteraves à peine levées, nous rappelant que notre métier reste dépendant des caprices de la météo. Malgré les incertitudes qui pèsent sur 2021, nous abordons avec plus d’optimisme cette campagne 2021-2022 où nous espérons retrouver un niveau de production betteravière de l’ordre de 90 tonnes par hectare (t/ha) pour un rendement en sucre de 14 t/ha.

La lutte contre la jaunisse de la betterave est devenue un enjeu prioritaire. Quels moyens ont été mis en œuvre ?

Dès septembre 2020, la filière a présenté un Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) qui a pour objectif de déboucher, dans les trois ans, sur des solutions de lutte opérationnelle contre la jaunisse de la betterave.Doté d’un budget de 20 millions d’euros, dont 7 M€ de financement public, le PNRI est porté par l’ITB et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) en collaboration étroite avec les services agronomiques des fabricants de sucre. 21 projets de recherche ont d’ores et déjà été validés par le comité scientifique ; 500 ha de plaine betteravière et une cinquantaine d’exploitations sont mobilisés pour mener les expérimentations. Toutes les voies potentielles seront explorées : lutte alternative biologique, sélection variétale, technologies de pointe visant à développer l’immunité antivirale de la plante, à l’image de la technique génétique d’ARN messager mise en œuvre dans certains vaccins contre le coronavirus, systèmes agronomiques intégrant des auxiliaires de culture : insectes, plantes hôtes, associations d’espèces végétales…

Les autorités de tutelle ont-elles pris toute la mesure des défis auxquels est confrontée la filière ?

Le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, Julien Denormandie, et le Délégué interministériel pour la filière betterave-sucre-alcool, Henri Havard, ont bien compris nos enjeux et défis. Au-delà du soutien financier apporté au PNRI, les contributions de la filière ont été clairement affirmées, tant aux plans agricole et industriel qu’au niveau de la structuration des territoires, de l’emploi et du maintien de productions essentielles : je pense bien sûr au sucre mais aussi au gel hydroalcoolique pour lequel la filière a su répondre présent. C’est grâce aux efforts engagés dès le début de la crise sanitaire par les producteurs d’alcool que le monde hospitalier, les personnels soignants et la population n’ont jamais manqué de gels ni de solutions hydroalcooliques.

La réponse à cette situation d’urgence a mis la filière sur le devant de la scène, mais quels autres apports méritent d’être mieux connus ?

Notre filière représente 45 000 emplois directs et indirects solidement ancrés dans les territoires et non délocalisables. Elle produit des ressources pour l’alimentation (sucre et alcool alimentaire), une énergie qui contribue à la transition énergétique (bioéthanol) et de l’alcool pour les industries non alimentaires, notamment pour la pharmacie…

Parallèlement nos activités génèrent des coproduits utiles, à l’image des pulpes de betteraves qui contribuent à l’alimentation animale et à la production d’énergie renouvelable (méthanisation).

Pellets (alimentation animale) à base de pulpe de betteraves

L’impact positif se mesure également au niveau des gaz à effet de serre : un hectare de betteraves capte 40 tonnes de CO2 et l’utilisation du bioéthanol en substitution de l’essence conventionnelle réduit de 70 % les émissions de CO2. Enfin, la complémentarité des débouchés (sucre/alcool) et la structure de l’outil industriel sont un levier d’autonomie : elles permettent d’adapter nos productions pour répondre aux besoins de la France et de l’Europe sans recourir aux importations de pays tiers.

Après plusieurs années d’agribashing, pensez-vous que la crise sanitaire a permis de faire évoluer l’image du monde agricole ?

À force de perdre le lien avec les territoires ruraux, l’opinion s’était forgée une image faussée des réalités agricoles. Les enjeux de souveraineté alimentaire et sanitaire qui ont émergé à l’occasion de l’épidémie de Covid 19 ont rappelé le rôle des agriculteurs. Les gens prennent conscience qu’il faut dépasser les représentations fantasmées de l’agriculture « à l’ancienne » pour répondre aux besoins de la société actuelle tout en développant les approches durables (production locale, bio, circuits courts…). Les documentaires et émissions qui, depuis le début de l’année, se penchent sur le monde agricole témoignent de ce mouvement. Les efforts de communication sont à cet égard déterminants, et toute notre filière y contribue à tous les niveaux, tant vis-à-vis des pouvoirs publics que des citoyens.



1. L’AIBS regroupe l’ensemble des acteurs de cette filière agricole et industrielle, des planteurs de betteraves (CGB) aux fabricants de sucre (SNFS, Cristal Union, Lesaffre Frères, Ouvré Fils, Saint Louis Sucre, Tereos. Reconnue comme interprofession par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, elle assure les relations entre la filière et les pouvoirs publics. Elle définit notamment les orientations stratégiques et contribue au financement des organismes interprofessionnels de la filière respectivement dédiés à la recherche et à la communication : l’Institut technique de la betterave (ITB) et Cultures Sucre.

2. Les rendements betteraviers sont passés d’une moyenne annuelle de 87 à 90 t/ha à 62 t/ha en 2020.

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